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Pas si Joly: Pourquoi tant de Québécois s’opposent à la culturelle politique et à Netflix

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AU QUEBEC, LA CLASSE POLITIQUE et culturelle a décidément mal avalé la politique culturelle récemment dévoilée par la ministre du patrimoine canadien, Mélanie Joly. Le centriste Parti Libéral du Québec a été aussi véhément dans sa dénonciation de la politique que le Parti Québécois et la formation souverainiste de gauche Québec Solidaire.

Le Devoir, un quotidien montréalais de gauche, a accusé le fédéral dans un éditorial de vouloir “cautionner l’injustice». Pour sa part, le chroniqueur souverainiste de droite Mathieu Bock-Côté, toujours sceptique à l’endroit du gouvernement Trudeau, a reproché le gouvernement et le ministère “d’abandonne[r] les forces vives de son pays pour se soumettre à l’idéologie de la mondialisation.” Rien de moins. Les pages éditoriales du Journal de Montréal et du Journal de Québec se sont enflammées avec une série de chroniques Trudeau-sceptiques suite au dévoilement de la politique; le blogueur Michel Hébert a rebaptisé la ministre “Mélangée Joly.”  Richard Martineau, un chroniqueur influent qui est pour certains la voix des sans-voix des banlieues et pour d’autres le mononcle un peu bigote qui sème le malaise au souper d’Action de Grâce, a dénoncé les déclarations de la ministre comme étant “des phrases bancales qui semblent avoir été générées au hasard par un ordinateur.” Ayoye.

Même La Presse, un quotidien montréalais de centre-gauche habituellement plus réservé, s’en est prise à l’annonce. “C’est…le début de la fin de notre souveraineté culturelle,” a résumé la chroniqueuse Nathalie Petrowski.

Mélanie Joly a dévoilé la politique jeudi dernier, et d’entrée de jeu il semblait y avoir de bonnes nouvelles pour le Québec. La ministre a annoncé que le gouvernement s'engageait à investir davantage dans le Fonds des médias du Canada (actuellement financé à la hauteur de 349 millions $) afin de compenser les revenus décroissants des cablodistributeurs qui contribuent au Fonds en fonction de leurs revenus. Elle s'est aussi engagée à investir 125 millions $ dans la promotion des productions canadiennes à l'étranger.  Sans donner de précisions, Joly s’est engagée à réviser la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion afin d’ “assurer qu’on ait des plateformes numériques francophones québécoises.”

Elle a également annoncé une entente avec Netflix. Le géant américain du streaming s’est engagé à investir 500 million $ sur cinq ans dans la production du contenu canadien, et 25 million $ pendant la même période pour le “développement du marché” du contenu francophone. En échange, les abonnés à Netflix Canada ne paieraient pas de taxe de vente pour le service.  

Ce volet de la politique, en particulier, a semé l’émoi dans les milieux politiques et culturels québécois. Bien que la question de souveraineté politique divise toujours les électeurs québécois, il y a un large consensus sur la nécessité de garder une certaine souveraineté culturelle, tant chez les fédéralistes que chez les indépendantistes. L’Amérique du Nord compte sept millions de francophones, dont les cultures et les histoires risquent d’être noyées dans un océan de contenu produit en anglais, pour un public anglophone de 300 millions. Les Québécois commencent à délaisser des câblodistributeurs et des diffuseurs traditionnels au profit des services de vidéo sur demande comme Netflix, et les conséquences potentielles de ces développements pour le contenu francophone inquiète bon nombre de québécois. “Avec Netflix…nous ne serons plus les maîtres de nos histoires,” écrit Nathalie Petrowski.

Selon l’Association québécoise de la production médiatique, “l’engagement ponctuel de Netflix à produire sur le territoire canadien lui ait servi de monnaie d’échange pour se soustraire aux obligations qui sont faites aux câblodistributeurs et aux diffuseurs canadiens.”

“[On] aurait espéré que le gouvernement fédéral fasse valoir des solutions permettant de remédier au sous-financement des productions de langue française,” a poursuivi l’association professionnelle dans un communiqué.

 Malgré les demandes répétées des journalistes, la ministre Joly, une députée montréalaise francophone qui se décrit comme “fière québécoise,” n’a pas annoncé que Netflix serait soumis à un quota de contenu francophone.

“On est alarmés en tant que francophones parce qu’on n’a aucune garantie qu’une partie de cet investissement [aille] dans la production du contenu francophone,” dit Gabriel Pelletier, président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, un syndicat qui regroupe des réalisateurs de films et de téléséries francophones québécois. “Les questions culturelles sont définitivement plus sensibles et [visibles] au Québec, mais mes collègues du rest of Canada ont des priorités similaires. Il faut pouvoir se reconnaître et voir nos histoires, nos mythes, nos héros dans notre contenu culturel.”

“Nos distributeurs jouent avec des règles très strictes, mais ici on est en train de dérouler le tapis rouge pour Netflix et leur donner un marché ouvert,” poursuit Gabriel Pelletier. “Cela pourrait entraîner l’écroulement de notre système réglementaire au complet, parce que si Netflix ne paie pas, Bell et Rogers vont se demander pourquoi eux sont obligés de payer!”

Luc Fortin, le ministre de la culture du Québec, questionné en conférence de presse, n’a pas mâché ses mots à l’endroit de l’entente. “Comment peut-on abdiquer sur cette question [du quota de contenu francophone] lorsqu’on sait justement toute la précarité de notre identité dans cet univers numérique?” Fortin a ajouté que l’entente “cautionne une iniquité fiscale” en épargnant à Netflix l’obligation de percevoir la taxe de vente. Il a également annoncé que la province obligerait bel et bien Netflix à percevoir les taxes provinciales.

Il faudrait préciser que Mélanie Joly a marqué plusieurs buts contre son propre camp. Elle a défendu la politique dans une entrevue pénible au micro de l’animateur montréalais Paul Arcand (98,5 FM). Dans une tentative de plaire au public d’Arcand,  habituellement conservateur sur le plan fiscal, elle a souligné que l’entente respectait une promesse de campagne de ne pas augmenter les taxes de la classe moyenne. “Tou.tv [le service de streaming d’ICI Radio-Canada] est taxé. Illico [le service équivalent de Vidéotron] est taxé,” a objecté l’animateur. “On ne parle pas… d’augmenter les taxes, on parle d’imposer une taxe sur un produit qui existe déjà! Etes-vous prête à enlever les taxes pour les autres [Vidéotron et Illico] qui sont comparables?” Arcand a également interrogé Joly à répétition sur le pourcentage de l’investissement de Netflix qui serait consacré au contenu francophone. Sans donner de réponse précise, la ministre s’est confondue en louanges génériques des réalisateurs canadiens ayant réussi à l’étranger.

“Vous avez une belle cassette, mais ma question est simple,” a martelé Arcand. “Sur les 500 millions $…vous n’avez pas négocié un investissement minimal en production francophone?” Joly, pour sa part, semblait convaincue que Netflix allait investir dans du contenu francophone de sa propre volonté. Comme Chantal Hébert a habilement observé dans le Toronto Star, le contenu francophone existant de Netflix ne semble pas refléter une grande volonté de faire des réalisations en français, malgré le fait que la compagnie possède déjà une antenne en France (un marché francophone presque dix fois plus grand que celui du Québec). Arcand, pour sa part, a accusé Mélanie Joly de “pensée magique.”

La ministre a aussi passé un quart d’heure difficile à Radio-Canada, sur le plateau de Tout le monde en parle, diffusée dimanche soir. Bien que Guy A. Lepage et son panel n’aient pas été aussi intenses que Paul Arcand (ils le sont rarement, préférant de créer une atmosphère relaxe qui encourage des discussions candides), ils se sont attaqués de façon méthodique à ses arguments, qui étaient essentiellement les mêmes que ceux avancés à la radio. Les visages des spectateurs en studio, qui avaient accueilli la ministre chaleureusement, avaient l’air de plus en plus perplexes au fur et à mesure que les panélistes questionnaient la ministre et qu’elle restait accrochée à son script. Lepage a finalement intervenu pour couper son élan:  « On vous croit, on le sait que vous êtes dévouée [à la production canadienne.] Mais il y a un éléphant dans la pièce qui s’appelle Netflix.”

Mélanie Joly n’a pas aidé son propre cas, répétant le montant de “500 millions $” de nombreuses fois et disant, bizarrement, que Vidéotron, un joueur dominant dans la câblodistribution au Québec avec plus de 1,6 millions d’abonnés, n’était “pas un câblodistributeur.”

“Il semble malheureusement qu’elle n’ait pas compris,” Pierre-Karl Péladeau, ancien PDG de Québécor, la société mère de Vidéotron, a tweeté dans les instants qui ont suivi. “Vidéotron, entre autres un câblodistributeur, investit dans la culture.” Eissh.  Rendu à la traditionnelle “pause vin” de l’émission, Guy A. avait l’air d’avoir besoin d’un verre.

Mélanie Joly ne peut pas s’échapper au fait qu’elle soit une jolie blonde politicienne de 38 ans, qui essaie d’être prise au sérieux dans un paysage médiatique québécois dominé, surtout à droite, par des hommes grognons dans la soixantaine. La réponse à son annonce bâclée aurait-elle été si virulente si elle avait été un homme aux cheveux gris habillé en fonctionnaire? C’est peu probable. Mais l’image publique de la ministre reflète l’image que de nombreux québécois ont du gouvernement Trudeau dans son ensemble: trop de style, trop peu de substance, trop de selfies et trop peu d’actions concrètes.

A la fin de leur segment, les invités de TLMEP reçoivent traditionnellement une carte — une courte aphorisme qui résume leur passage à l’émission– qu’ils lisent au public à voix haute.   Sur la carte de Mélanie Joly, on avait écrit,  « Étonnant qu’avec tous les nouveaux supports numériques disponibles, nos politiciens soient restés fidèles à la cassette! » En ondes, Mélanie Joly a remplacé le mot “cassette” par “innovation.”

Dany Turcotte, le “fou du roi” désigné de TLMEP, n’a pas apprécié le tour de passe-passe de la ministre. « Quand les politiciens changent le sens de mes cartes, ça me met en t****, " a-t-il tweeté.

Il n’est pas seul. 

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Carnet éditorial du Journal de Montréal du samedi 30 septembre 2017 réimprimé avec permission.