
EN 1983, PLUS DE 30 ans après l’arrivée de la télévision dans les foyers des grandes villes canadiennes, les résidents de Lac-Beauport et de Lac-Saint-Charles, au pied des Laurentides dans la région de Québec, n’avaient toujours pas de réception. Un groupe de citoyens a formé une coopérative et postulé pour un permis auprès de la CRTC. Deux ans plus tard, la Coopérative de câblodistribution de l’arrière-pays (CCAP) comptait déjà 3000 abonnés. Trente ans plus tard, forte de ses 17000 abonnés, la coopérative est toujours là.
À partir d’un bureau à Charlesbourg, en banlieue de Québec, la CCAP fournit des services d’internet, de câble et de téléphone aux résidents de Lac-Beauport, Lac-Delage, Lac-Saint-Charles, Stoneham-et-Tewksbury, Ste-Brigitte-de-Laval et Notre-Dame-des-Laurentides.
(Photo, de gauche à droite: Marco Gonzalez, directeur d'opérations de la CCAP, Maryna Carré, directrice de marketing, communication et commandites, et Stéphane Arseneau, directeur de la coopérative.)
“On est un peu enclavé par Vidéotron dans la région de Québec. La où Vidéotron arrête, on commence, et vice versa,” dit le directeur de la coopérative, Stéphane Arseneau. “Notre grande particularité, c’est qu’on dessert des villes-dortoirs de la ville de Québec. On a un petit parc technologique, mais on n’a pas d’hôpitaux ou de grandes institutions. On dessert vraiment des résidences, des gens qui demeurent là mais qui travaillent à Québec.”
Maryna Carré, directrice de marketing, de communications et de commandites, dit que le territoire desservi ressemble à “une toile d’araignée.”
“C’est très montagneux et très étendu en distance, ce n’est pas centralisé autour de notre bureau,” explique Maryna Carré. Elle note que des techniciens doivent souvent couvrir de 30 à 45 kilomètres afin de pouvoir rencontrer des clients chez eux.
Desservir des clients plus éloignés implique un investissement accru. “Aller rouler du câble et installer de l’équipement dans un endroit éloigné pour très peu de clients coute cher en argent et en équipement. Dans certains secteurs au nord de Stoneham et Tewksbury, on se demande si ça vaut la peine d’y aller,” dit Stéphane Arseneau. “On est une coopérative, donc notre but, c’est de servir des clients, mais il y a un coût associé à ça. Il faut se demander si la masse des membres va payer pour desservir ces quelques clients-là.”
“En ville on parle de clients par poteau, mais dans des petites coopératives rurales comme la nôtre, on parle de poteaux par client. Le défi, c’est d’installer tout l’équipement afin de desservir nos clients jusqu’au bout de notre territoire,” résume Stéphane Arseneau.
Mais la façon dont la coopérative répond à cette pression fait leur force. “Quand les grandes entreprises sont arrivées sur le territoire, ils ont dit, les clients sont trop éparpillés et ce n’est pas rentable. Ils ont décidé de ne pas aller plus loin. Les gens de la place se sont mis ensemble, ils ont formé la coopérative, ils sont allés voir la CRTC pour avoir toutes les permissions, et [CCAP] existe depuis ce temps-là,” dit Arseneau, qui travaille à la CCAP depuis 22 ans.
Le frais d’adhésion de 100 $ payé par chaque membre sert de frais de membre du coopérative. À la réunion annuelle générale de la coopérative, présidée par un conseil d’administration des membres bénévoles locaux, tous les abonnés ont le droit de vote sur les décisions majeures. Au lieu d’aller dans les poches d’un nombre restreint des actionnaires, les profits sont pour la plupart réinvestis en améliorations au service ou distribués aux membres sous forme de ristournes. “Tous les clients sont membres avec un droit de vote à l’assemblée annuelle. Dans ce sens-là, on a 18 000 copropriétaires, mais aucun individu peut imposer sa façon de faire sur nous,” explique Arseneau.
Selon Maryna Carré, le modèle coopérative et la zone de couverture limitée permettent à CCAP de focaliser son service sur la qualité au lieu de la quantité. “Peut-être qu’une entreprise privée aurait autant de succès que nous sur notre territoire. Mais étant une coopérative, on ne met pas nécessairement les priorités dans le même ordre. On n’a pas la même pression pour faire de la vente. On peut prendre le temps avec le client. Si un préposé de service à la clientèle prend une heure au téléphone avec un client, c’est correct. Les clients apprécient aussi la possibilité de rappeler et de parler avec la même personne. On a de la chance de pouvoir faire ça.”
La coopérative reste présente dans la communauté, à travers un programme de commandites et une chaine de cable communautaire, diffusé à la télévision et en ligne depuis 2011. “Selon les règlements, on avait deux options,” explique Arseneau. “Soit on investissait dans notre propre chaine de télévision locale, soit on envoyait une pourcentage de notre chiffre d’affaires dans un fonds national et on ne voyait plus ces sous-là. Pour nous, c’était une décision facile.”
“La région de Québec est bien couverte par les chaines majeures, mais ils ne viennent pas toujours couvrir un évènement communautaire à Lac-Beauport,” ajoute Carré. “On veut donner aux gens et aux entreprises de la place ce moment pour rayonner.”
“Les membres aiment nous voir sur le terrain dans la communauté, et les gens aiment voir leurs voisins ou leurs petits-enfants passer à la télé.” – Stéphane Arsenault, CCAP
La plupart du contenu, entre 80 et 95 pour cent, est produite par une maison de production locale qui est également une coopérative. La grille de programmation montre une grande gamme d’émissions de cuisine, de musique, de sport et de divertissement, avec un emphase particulier sur les ainés et les enfants. Certaines émissions ont été proposées par des auditeurs. “Plusieurs de nos projets sont des idées proposées par les citoyens, qui nous ont approchés pour dire, je veux faire une émission sur la cuisine ou le sport ou la culture,” dit Carré. Un documentaire récent, Freeski, qui suit un groupe d’adolescents qui apprennent le ski acrobatique, a été primé en 2016 par le Canadian Cable Systems Alliance, la plus récente de plusieurs prix que la CCAP a gagné depuis le lancement de la chaine. Des équipes de production couvrent également des festivals et des évènements spéciaux. “Les membres aiment nous voir sur le terrain dans la communauté, et les gens aiment voir leurs voisins ou leurs petits-enfants passer à la télé,” dit Arseneau. “C’est gagnant-gagnant et ça nous donne une belle visibilité.”
Pour assurer l’avenir de la coopérative, Arseneau mise sur l’élargissement de l’offre en télévision et l’amélioration de l’accès internet. La CCAP a récemment commencé d’offrir les forfaits télévision à 20 $ et moins, tel qu’exige désormais la CRTC, et offre à ses clients la possibilité de remplacer une option par l’autre. “Des petites entreprises comme la nôtre ne sont pas obligées d’offrir ces forfaits-là, mais on a vu une demande des clients, alors on l’a fait,” explique Arseneau. La CCAP n’offre pas encore des services internet fiberoptique à domicile, mais Arseneau dit que les équipes “travaillent très fort pour offrir une service équivalente.” La CCAP est actuellement un rédistributeur des services de téléphonie mobile de Vidéotron, mais Arseneau espère que dans quelques années ils pourront offrir leur propre service cellulaire.
“Un de nos grands défis, c’est que les clients en milieu rural veulent le même chose que s’ils étaient au centre ville de Québec, alors on doit essayer de faire ce que les grandes entreprises font,” dit Arseneau. “Aujourd’hui, l’accès aux télécommunications est tout aussi important que l’accès à l’électricité. Si on veut continuer à développer comme communauté et comme peuple, il faut que des services de qualité soient accessibles.” Il espère que la CRTC et le gouvernement provincial interviendront afin de rendre les structures tels que les poteaux et les tours plus accessibles aux petites entreprises. “C’est de plus en plus difficile d’avoir l’autorisation d’utiliser les poteaux. C’est compliqué, et c’est couteux aussi. Bien souvent, les structures appartiennent aux compagnies d’électricité, à Hydro-Québec dans notre cas, ou aux compagnies de télécom. Ça fait qu’il faut faire affaire avec nos principaux compétiteurs, et les laisser décider si on peut installer nos équipements. Ils trouvent beaucoup de raisons de dire non ou de retarder le projet, ce qui ralentit notre expansion. S’il y a un domaine où les différents paliers de gouvernement pourraient intervenir, c’est la gestion des structures.”
“Il faut que ces structures puissent être accessible aux différents joueurs pour qu’on puisse continuer à croitre et faire de la concurrence,” poursuit le directeur. “Sans concurrence, tu te ramasses avec une ou deux compagnies qui resteront sur leurs lauriers et feront ce qu’ils veulent en termes d’offres et de tarifs.”
Dans un environnement de plus en plus compétitif, la CCAP tient à miser sur ses forces. “Conserver nos clients actuels prend beaucoup d’effort,” dit Maryna Carré. “La compétition est féroce et ils mettent beaucoup de temps et d’argent dans le télémarketing et le développement des services. Si on a encore le même nombre de clients dans cinq ans, on aura bien fait. Mais on est aussi content d’avoir de la concurrence, parce que ça nous amène à nous dépasser.”