
JAMAIS DEPUIS 50 ANS, les décisions du CRTC furent aussi âprement contestées. Au cours des deux derniers mois, pas moins de cinq appels devant le Cabinet fédéral ont été déposées, demandant l’annulation de décisions prises par le président sortant, Jean‑Pierre Blais. Il n’y a aucun précédent dans l’histoire pour une telle avalanche d’appels devant le Cabinet et d’un tel degré d’exaspération.
Au cours des derniers jours, Canadian Media Producers Association (CMPA), Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA), et Directors Guild of Canada (DGC) ont conjointement présenté un appel de la décision sur le renouvellement des licences des principaux radiodiffuseurs.
« Cette décision rendue par le président sortant du CRTC, nommé par le gouvernement Harper, celui qui souhaitait mettre fin à presque tout soutien aux films et à la télévision, que ce soit pour l’embauche de Canadiens ou pour les crédits d’impôt. Maintenant le gouvernement Trudeau doit décider s’il appuie l’homme de Harper ou les auditoires et les créateurs, » a dit Tim Southam, président de la Director’s Guild of Canada.
Du côté francophone, les appels déposés par la SARTEC, l’AQPM, l’ARRQ, l’UDA, AQTIS et l’ADISQ, accusant le CRTC d’avoir manqué à ses obligations et de ne pas avoir tenu compte « des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion ».
Récemment, ADR-TV, un radiodiffuseur indépendant voué à la sécurité publique, a fait pression sur le gouvernement fédéral par le biais d’un appel devant le Cabinet pour qu’il demande au CRTC de considérer une application dont la fonctionnalité a été reconnue par les corps policiers du Québec depuis 2010. Cette application permet aux autorités de la sécurité civile de rejoindre directement tous les propriétaires de téléphones intelligents avec des messages d’intérêt public au lieu de la coûteuse (25 M$) alternative imposée par le CRTC qui n’est pas encore développée.
Finalement, le gouvernement du Québec a également déposé un appel de décisions administratives argumentant qu’elles vont nuire à la production de contenu original de langue française.
Qui est en charge
Après que le mandat du président Blais fût terminé, Ottawa a nommé un fonctionnaire à la retraite pour agir à titre de président pour un mandat de quatre mois.
Imagine-t-on un instant, la FCC américaine, la Britannique OFCOM ou le CSA français, sans président permanent pour quatre mois ou même plus. Cette situation est sans précédent pour une telle fonction et survient au moment où les deux postes de vice‑présidents (radiodiffusion et télécommunications) sont également vacants.
Le poste de vice-président, radiodiffusion est vacant depuis 20 mois, suite à la démission de Tom Pentefountas. Et comme si ce n’était pas assez, le vice-président, télécommunications, l’Albertain Peter Menzies a démissionné avant la fin de son terme. Les postes de deux conseillers sont également vacants depuis les départs de Candice Molnar de la Saskatchewan et de Raj Shoan, de l’Ontario.
La radiodiffusion notre identité
Le CRTC est-il à la dérive, sans mission?
À un moment de changements sans précédent, ce sont les industries culturelles qui doivent décider de leurs investissements futurs et non des fonctionnaires qui considèrent l’industrie comme « l’ennemi ». Le régulateur doit prendre en compte les changements technologiques, démontrer une vision à long terme et sa capacité de travailler avec l’industrie.
Ottawa réalise-t-il que les industries de la radiodiffusion et des télécommunications génèrent des revenus de 67 milliards, environ 10 milliards de plus que l’ensemble des industries d’énergie électrique au Canada.
Récemment, une étude de Peter Miller/Nordicity, réalisée pour le compte des Amis de la radiodiffusion, a estimé que l’impact des décisions « Parlons TV » du CRTC pourrait faire reculer les dépenses de programmation de 400 millions par année jusqu’en 2020.
À la veille des négociations de l’ALENA avec les États-Unis, le CRTC devrait être à l’avant-scène en conseillant le gouvernement sur l’avenir de l’exemption culturelle originalement négociée par Ronald Reagan et Brian Mulroney.
Le contenu canadien est-il toujours à l’ordre du jour
Notre monde évolue. Les entreprises planétaires comme Netflix, Amazon et Google sont devenues des acteurs dominants. Le Canada sera-t-il gagnant ou perdant dans ce meilleur des mondes?
Plus que jamais, le CRTC a besoin d’un président avec une vaste expérience de l’industrie et deux vice-présidents. Après Konrad von Finckenstein et Jean-Pierre Blais, deux fonctionnaires du gouvernement fédéral qui ne se sont pas distingués par leur compréhension de l’industrie de la radiodiffusion, le CRTC n’a surtout pas besoin d’un autre bureaucrate.
Le CRTC est un instrument. Nous ne sommes pas Hollywood, nous ne le serons jamais mais nos producteurs, nos artistes et nos entreprises de presse méritent un appui mesuré et distinctif du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, si la mission du CRTC a encore un sens dans ce pays.
Nous avons besoin d’un président du CRTC qui sera un « tsar » des Communications modernes comme Pierre Juneau, le premier président du CRTC, le fût lors de sa nomination par Pierre‑Elliot Trudeau, en 1968.
En respectant le principe de l’alternance, notre système de radiodiffusion a besoin d’un président anglophone qui ait de l’âme et du cœur et qui soit capable d’imagination, avec comme seul objectif : renforcer le contenu canadien de notre système de radiodiffusion.
Michel Morin, journaliste indépendant et ancien Commissaire National du CRTC de 2007 à 2012.