
ALORS QUE LE gouvernement s’apprête à amorcer le processus de modernisation de la Loi sur les télécommunications et de la Loi sur la radiodiffusion, en 2018 (espérons-le), une considération majeure sera de savoir si on doit abandonner les deux Lois pour les fusionner dans une seule.
Greg Taylor, professeur adjoint au département des communications, des médias et du cinéma à l’université de Calgary affirme que le gouvernement a fait une erreur dans les années 1990 en scindant le ministère des Communications alors que l’Internet commençait à émerger.
« Je pense que l’on a besoin d’un ministère supervisant les télécommunications et la radiodiffusion. La radiodiffusion a toujours son importance, mais argumenter qu’il y a une différence entre la radiodiffusion et les télécommunications fait un peu vieillot. Tout cela n’est que le déplacement d’information numérique. » a-t-il ajouté.
Que la radiodiffusion et les télécommunications soient sous la tutelle d’une même administration est chose courante dans d’autres juridictions. Le Royaume-Uni a Ofcom, les États-Unis, la Federal Communications Commission (FCC), par exemple. Au Canada, le CRTC supervise et administre les deux Lois, mais des fonctions importantes comme la gestion du spectre est encore gérée par le gouvernement lui-même.
Cela pourrait se faire au Canada et même sans révision des deux Lois. Taylor dit que le gouvernement pourrait utiliser la Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique pour transférer le spectre d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada au CRTC. Ce ne serait pas une tâche facile, mais cela éviterait les pièges associés à la révision et la réécriture de la Loi sur la radiodiffusion, en particulier.
« Aussitôt que cette boîte de Pandore sera ouverte, il y aura des forces qui feront pression et les changements pourraient être régressifs en termes de participation du public et en termes des obligations des entreprises de médias pour servir le public qui sont enchâssées dans la loi sur la radiodiffusion. Une fois ces Lois ouvertes à des changements on retourne à la case de départ pour restaurer ces privilèges. », a-t-il expliqué.
Le professeur Taylor fait référence au fait que le cœur du pouvoir dans le système de radiodiffusion actuel réside dans les mains des distributeurs. « Je pense que les producteurs et les radiodiffuseurs avaient plus de pouvoirs (en 1991) qu’ils en ont maintenant. Aujourd’hui, le pouvoir est dans les mains des distributeurs et je crois que c’est un véritable enjeu » a-t-il ajouté.
Des arguments en faveur de la fusion des deux Lois ont été maintes soulevés au cours des dernières années.
Cartt.ca avait rapporté les propos du président du CRTC de l’époque et ex-commissaire de la concurrence, Konrad von Finckenstein en 2010 qui affirmait que ça n’avait plus de sens d’appliquer deux types de régimes sur des entreprises où les activités de radiodiffusion et de télécommunications convergent. « Nous devons éliminer ces distinctions législatives qui deviennent de plus en plus artificielles et développer une approche globale en communication » a-t-il dit. (plus ICI)
Plus de 7 ans plus tard, Konrad von Finckenstein tient toujours le même discours. L’Internet est une structure radicalement différente, de la traditionnelle radiodiffusion point à multipoint ou des télécommunications de point à point, a-t-il noté ajoutant que le mode de livraison devrait être éliminé.
« Nous disons si c’est acheminé par câble, vous recevez un traitement donné. Si c’est acheminé par téléphonie filaire, vous recevez un traitement différent. Si c’est acheminé par le sans-fil, vous recevez un autre traitement. » – Konrad von Finckenstein
« Nous disons si c’est acheminé par câble, vous recevez un traitement donné. Si c’est acheminé par téléphonie filaire, vous recevez un traitement différent. Si c’est acheminé par le sans-fil, vous recevez un autre traitement. »
Je pense que ce genre de distinction devrait dire qu’une communication quelle que soit le mode de distribution devrait être traitée de la façon suivante. », a-t-il dit dans une entrevue récente avec CARTT.ca.
Au moins un radiodiffuseur dans un petit marché et propriétaire de canal spécialisé pense qu’il est temps d’arrêter de traiter les entreprises de radiodiffusion et de télécommunication de façon différente. Cal Millar, président de Channel Zero (propriétaire de CHCH, Rewind, Silver Screen Classics et autres canaux spécialisés) estime que la distinction entre la radiodiffusion et la télécommunication n’est plus pertinente.
« Aujourd’hui, est-ce que le terme « radiodiffusion*» est le bon? demande-t-il, notant qu’une nouvelle terminologie doit être créée pour refléter la diffusion de contenu numérique.
« Oui, plusieurs d’entre nous sommes encore impliqués dans la « diffusion large », mais nous sommes également impliqués dans la « diffusion étroite » et nous sommes aussi dans la diffusion de personne à personne. Pourquoi aurions-nous une seule Loi? Pourquoi ne pas l’appeler la Loi sur les communications et cesser toute distinction, mettre tout ensemble et parler de communication culturelle et discuter de la machinerie de l’industrie », a-t-il demandé.
Les producteurs indépendants canadiens ne sont pas opposés à une fusion du cadre législatif dans une seule Loi pour les secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications.
« Il pourrait y avoir des avantages à le faire et avoir une seule approche cohérente et une seule Loi pour réglementer tout le secteur », a dit Reynolds Mastin, président de la Canadian Media Producers Association (CMPA). « Nous ne fermons pas la porte, mais nous croyons que c’est trop tôt pour nous de dire : voici la direction où on veut aller plutôt que de moderniser les Lois de la radiodiffusion et celle des télécommunications et les garder distinctes. »
Pour d’autres, ce n’est pas si évident de fusionner les deux Lois. John Lawford, directeur exécutif du Centre pour la défense de l’intérêt public (CDIP) suggère que les deux Lois sont en bonne santé comme elles le sont présentement. Les problèmes surgissent parce que « d’autres pressions dans le système mettent un poids énorme sur les Lois de la radiodiffusion et celle des télécommunications. », ajoute-t-il.
M. Lawford mentionne que la loi sur la radiodiffusion doit transiger avec de nouveaux modèles de distribution et protéger le contenu canadien alors que la Loi sur les télécommunications fait face à de nouveaux défis avec la priorisation du contenu et le blocage de sites web.
En général toutefois, les Lois n’ont pas véritablement pas besoin d’une révision majeure, ajoutant que celle de la radiodiffusion aurait besoin d’un peu plus de ‘muscle’ et de clarté pour savoir comment agir dans l’avenir.
La troisième partie de cette série explorera les enjeux liés à la croissance des plateformes de distribution en ligne.
* Le terme anglais « Broadcasting » pourrait être traduit par « diffusion large »
Traduction française par Denis Carmel